Histoire
LA NAISSANCE D’UNE LÉGENDE (extraits de l’article de Zed, in Freeway n°177) |
Une histoire digne d’un roman. Un roman noir et étincelant comme un cuir clouté qui passe dans la nuit, presque une légende…
À Paris comme dans les autres capitales, un vent de mutinerie souffle sur le crépuscule des sixties. Il exprime un profond désir de liberté, d’envie trop longtemps contenue de rébellion contre l’ordre établi.
(…) Sur la côte ouest des Etats-Unis, certains revendiquent leur propre conception de la liberté, sur deux roues. Les jeunes Français n’en connaissent pas grand-chose, quelques faits d’armes relatés par la presse à sensation, une ou deux photos de motards terribles chevauchant des bécanes dépoilées jusqu’à l’os, et un nom : Hells Angels ! Une quête vers un idéal inconnu, dans laquelle se lancèrent plusieurs équipes, constituées d’hommes courageux et quelquefois respectés par l’adversaire, mais dont l’Histoire, écrite depuis la nuit des temps par les vainqueurs, ne retiendra que trois noms : les MC de Crimée, de Malakoff et de la rue de Lappe. Des noms qui terrorisaient les rocky de banlieue jusqu’au fond de leurs caves, qui faisaient s’écarter les videurs à l’entrée des concerts et fantasmer les bourgeoises. Qu’avaient-ils de plus que les autres ? Davantage de détermination ? De solidarité, de fraternité dans leur quotidien comme au plus fort du baston ? Peut-être… Mais ce sont les acteurs de cette époque eux-mêmes qui nous éclairent sur ce qui faisait vraiment la différence : « On avait le mental… ». Le mental ? Difficile à expliquer ce petit supplément d’âme inné qui implique qu’on naît Hells Angel plutôt qu’on ne le devient. Difficile à comprendre cette éthique particulière, ne découlant d’aucune initiation, d’aucune explication.
C’est avec des gars de cette trempe que le MC Anges de Crimée voit le jour en 1967. Une dizaine de rockers, de blousons noirs, de loubards, de jeunes voyous, appelez-les comme vous voulez, le terme biker n’existait pas encore. Ils sont presque tous du XIXe arrondissement, certains se connaissent depuis la communale. À leur tête Loulou, dit Loulou de Crimée, un chef emblématique, un meneur d’hommes qui allait devenir 14 ans plus tard le premier président du Hells Angels MC France. Pas de local, simplement les rues et troquets du quartier, un banc, leur banc sur la rue de Crimée, à deux pas de la rue de l’Ourcq… « (…) Nos bécanes étaient principalement des anglaises choppérisées, les Harley étaient encore rares et synonymes de frime… On ne comprenait pas ce qui se passait aux USA. (…) Mais le peu qu’on voyait, qu’on lisait semblait nous convenir… La fraternité, un pour tous et tous pour un, quand t’es dans la merde tout le monde est là, c’était déjà notre mental à nous, c’était déjà comme ça qu’on fonctionnait, sans l’avoir lu, sans l’avoir appris… On ne bougeait pas beaucoup, on ne se mélangeait pas aux autres, on traînait principalement dans le quartier… Et puis quelques bagarres à droite à gauche… ». Ce sont ces dernières qui vont asseoir la réputation des membres de la bande, que l’on commence à nommer, à la fin de la décennie et malgré eux, les « Hells de Crimée ». (…)
De l’autre côté de Paris, derrière le périphérique, dans la banlieue rouge, il y a Malakoff. Malak’ comme on dit. Là où une autre équipe de jeunes fous connaît à peu près la même destinée, à peu près au même moment. Là d’où vont sortir aussi quelques célèbres futurs Hells Angels français. Il s’agit encore d’une bande de rockers, de potes liés depuis l’enfance. Et parmi eux, Fred : « C’est P’tit Pat qui avait le trip et qui nous a mis à la bécane en 69… Il était déjà très branché Etats-Unis, Elvis et bagnoles américaines, et roulait sur une Hydra Glide… Moi j’avais un vieux WLC… (…) On allait sur les rallyes des H-DC, mais on a rapidement compris que ce n’était pas notre truc. Avec nos cuirs noirs cloutés, rockers un peu fouteurs de merde sur les bords, on ne correspondait pas à cette image de l’HD, et on était pas trop bien vus… Alors on s’est fait broder des couleurs, MC Malak… »
Crimée et Malakoff, deux bandes motorisées, l’une d’un quartier populaire de la capitale, l’autre de sa banlieue, vont se croiser sur les grands boulevards pour écrire une page de leur histoire… Les deux MC se rencontrent en 1971, du côté de la Bastille, dans une ruelle coincée entre la rue de la Roquette et la rue de Charonne. Elle s’appelle la rue de Lappe. Ce fut certainement le premier local biker de la capitale, voire de France (…). À l’origine de ce moto-club, Olivier Mosset, dit Momosse, un jeune peintre qui a quitté sa Suisse natale 10 ans auparavant pour vivre l’aventure à Paris. (…) Dans ce lieu unique, où la pratique de la moto découle d’une démarche commune, ces jeunes indomptés apprennent à se connaître, découvrent que d’autres gars abordent la vie de la même manière qu’eux, qu’ils ont le même mental. Et leur association pour le moment encore informelle va commencer à faire trembler dans les chaumières. En fin de semaine, tout ce beau monde se retrouve sur le Boulevard Saint-Germain, histoire de changer un peu de quartier et de draguer les étudiantes qui rêvent de s’encanailler avec ces motards sortant de l’ordinaire. Le café Mabillon leur sert de lieu de rendez-vous. (…) En 1973, les MC Crimée, Malak et rue de Lappe rassemblent une quarantaine de garçons d’horizons très différents, et qui vont donner, moins d’une décennie plus tard, la crème des premiers Hells Angels Français ».
Ainsi naquit la légende, qui se concrétisa le 18 avril 1981, quand les prospects parisiens devinrent membres à part entière après un meeting à Copenhague, et créèrent ainsi le premier chapitre Hells Angels français. 35 ans plus tard, le club est toujours présent dans les rues de Paris…